Une émulsion stable d’eau dans l’huile sans aucun tensioactif ?

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15/04/2024

Des scientifiques de l’ESPCI Paris - PSL, du CNRS1 et de l’entreprise française Calyxia2 ont observé qu’une fine couche d’huile séparant deux gouttelettes d’eau pouvait entrainer une interaction adhésive entre elles tout en empêchant leur coalescence. Cette découverte permet la création de matériaux ultra purs sans solvant ni tensioactifs, allant de capsules colloïdales biodégradables à une nouvelle génération de matériaux hybrides.

Une émulsion est un mélange composé de deux liquides non miscibles, l’eau et l’huile par exemple. Grâce à l’agitation, l’un des liquides peut se disperser en fines gouttelettes dans l’autre. Cependant, quand l’agitation cesse et à mesure que le temps passe, ces gouttelettes se rapprochent puis coalescent pour former des gouttelettes toujours plus grosses jusqu’à ce que les deux phases d’huile et d’eau soient à nouveau totalement distinctes l’une de l’autre.

L’ajout d’un troisième composant de nature amphiphile, possédant donc une affinité pour l’interface entre l’eau et l’huile, appelé tensioactif, permet d’éviter la coalescence des gouttelettes. Les émulsions qui reposent aujourd’hui sur l’utilisation massive de tensioactifs et de solvants sont présentes dans des domaines industriels très divers (alimentation, cosmétique et santé, bâtiment, route, métallurgie).

Les chercheurs ont récemment observé un phénomène tout à fait contre-intuitif concernant un mélange composé seulement d’eau et d’huile à l’état pur : l’apparition spontanée d’un film d’huile ultra fin, mais anormalement stable entre des gouttelettes d’eau dispersées dans divers types d’huiles. Ce phénomène surprenant induit une adhésion systématique entre les gouttelettes tout en empêchant leur coalescence. Il est ainsi possible de disperser durablement de grandes proportions d’eau dans de l’huile (80% et plus encore). Cependant, ce phénomène est réservé à des huiles de masses moléculaires importantes et qui possèdent une certaine alternance de polarité. Ce qui exclut par exemple les hydrocarbures aliphatiques. Par contre, les huiles contenant des alternances d’oxygène et de carbone comme toutes les huiles végétales sont de bons candidats.

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Amas de gouttelettes stables et compacts : preuve de l’adhésion entre les gouttelettes. Echelle, 10 μm.

Les chercheurs ont démontré que ces types d’huile peuvent changer leur configuration dès lors qu’elles sont confinées entre deux gouttes d’eau. En effet, en choisissant de localiser préférentiellement leurs parties hydrophiles vers l’eau et leur parties hydrophobes du côté opposé, un film ultra mince adhésif induit par l’affinité des parties hydrophobes se développe spontanément dès lors que deux interfaces s’approchent. Le film mince acquiert alors une grande viscosité tout en diminuant l’énergie libre de l’interface, comme en témoigne l’adhésion entre les gouttes. Un tel phénomène de gélification spontanée entre deux liquides n’avait jamais été observé.

L’usage d’huiles végétales polymérisables associées à la possibilité de les mélanger avec de l’eau donne accès à une variété de matériaux polymériques parfaitement biodégradables. Sur la base de cette découverte, les chercheurs ont validé la possibilité de fabriquer des micro capsules destinées à toutes sortes d’industries pour lesquelles la biodégradabilité devient incontournable. Enfin, une nouvelle génération de matériaux hybrides est à l’étude, avec des propriétés mécaniques et une biodégradabilité parfaitement contrôlée pour l’industrie des emballages et de la construction.

 

1 du Laboratoire Colloïdes et Matériaux Divisés au sein de l’Institut Chimie Biologie Innovation (CNRS/ ESPCI Paris - PSL)
2 Entreprise spécialisée dans la conception et la fabrication de microcapsules biodégradables et de Harvard université usa.

Publication dans la revue Science

Auteurs de l’étude : Claire Nannette, Jean Baudry, Anqi Chen, Yiqiao Song, Abdulwahed Shglabow, Nicolas Bremond, Damien Démoûlin, Jamie Walters, David A. Weitz, and Jérôme Bibette.





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