Une nouvelle technique d’imagerie cérébrale pour accélérer la recherche sur les maladies neurologiques

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10/12/2014

Une équipe de physiciens et de biologistes de l’ESPCI vient de mettre au point une nouvelle technique d’imagerie cérébrale ultrasensible, légère, rapide et peu coûteuse qui pourrait être utilisée sur les modèles animaux de pathologies neurologiques, afin d’accélérer la mise au point de thérapies efficaces contre ces maladies (Alzheimer, schizophrénie, etc.)

L’IRM : un indéniable succès… et des limitations

Depuis deux décennies, l’IRM (imagerie par résonance magnétique) est la technique de choix pour réaliser des images en 3 dimensions du cerveau humain à des fins de diagnostic et de suivi thérapeutique, à tel point que le grand public est devenu remarquablement familier avec cette technique, passée dans le langage populaire.

En dépit de ce succès, l’IRM présente des inconvénients majeurs et manifestes. Elle exige que le patient reste volontairement immobile pendant plusieurs minutes, et même dans ces conditions, elle peut être perturbée par les mouvements physiologiques naturels (battements du cœur et respiration, notamment). De surcroît, elle ne peut être réalisée qu’en milieu hospitalier, car elle met en jeu des champs magnétiques très élevés, qui nécessitent une instrumentation lourde et coûteuse.

Ces contraintes empêchent l’utilisation de ce type d’imagerie en amont, dans les laboratoires de recherche préclinique, sur les modèles animaux utilisés en routine dans la mise au point de thérapies contre les maladies neurologiques ou psychiatriques.

Le challenge : une technique d’imagerie cérébrale portable, robuste et ultraperformante

Une nouvelle technique doit donc être inventée pour pouvoir réaliser des images en 3 dimensions du cerveau d’animaux éveillés et libres de leurs mouvements, qui aurait le potentiel d’être transposée par la suite à l’homme, et qui présenterait des performances supérieures à celles de l’IRM pour être adoptée par les médecins cliniciens.

Une équipe transdisciplinaire de chercheurs de l’ESPCI ParisTech vient de mettre au point une nouvelle technique d’imagerie cérébrale ayant justement ce potentiel : elle met en œuvre des sondes ultrasonores légères (et donc portables) et elle opère à une fréquence assez élevée pour s’affranchir des mouvements cardiaques et respiratoires (qui se signalent à des fréquences plus basses). Elle permet de réaliser des images de la connectique fonctionnelle du cerveau d’animaux vivants tels que le rat, avec une précision spatiale, une résolution temporelle et une sensibilité de détection bien supérieures à celles de l’IRM.





Cartes présentant la connectique fonctionnelle dans un plan frontal du cerveau de rat. ©ESPCI

Il est connu que, même au repos, la connectique fonctionnelle est altérée dans le cerveau de patients atteints de maladies neurologiques ou psychiatriques, comme la maladie d’Alzheimer ou encore la schizophrénie. Cette nouvelle technique a donc le potentiel d’être utilisée dans les modèles animaux de ces pathologies, pour suivre les effets des traitements thérapeutiques testés sur ces modèles et les optimiser.

La transdisciplinarité pour inventer une solution inédite

Une telle avancée a été rendue possible grâce à une collaboration inédite et féconde entre des physiciens de l’Institut Langevin et des biologistes du laboratoire Plasticité du cerveau ; elle est par là-même emblématique de la culture transdisciplinaire de l’ESPCI ParisTech.

Cette technique ultrasensible d’imagerie, baptisée fUltrasound ou fUS (pour functional ultrasound) a été inventée à l’Institut Langevin. Elle est basée sur l’échographie ultrarapide (domaine d’expertise de Mickaël Tanter, pour lequel ce chercheur et son équipe sont mondialement connus) et elle met en œuvre l’effet Doppler d’ondes ultrasonores. L’avantage des ultrasons réside dans leur capacité à pénétrer les tissus biologiques, ce qui permet d’atteindre des régions profondes du cerveau et donc de réaliser des images en 3 dimensions.

La technique fUltrasound permet notamment de mesurer les fluctuations du volume du sang dans les microvaisseaux, qui est un marqueur de l’activité cérébrale. La propagation cohérente de ces fluctuations sur de grandes distances, pendant l’activité cérébrale naturelle et spontanée, révèle la connectique fonctionnelle du cerveau.

En parallèle, les neurobiologistes (Zsolt Lenkei et son équipe) ont fait sauter un verrou important en montrant qu’il était possible d’utiliser cette technique sans ouvrir la boîte crânienne, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ils ont utilisé la technique fUltrasound sur des rats sous anesthésie (et donc immobiles), ce qui a permis de comparer les performances de cette nouvelle technique avec celles de l’IRM. fUltrasound surpasse clairement cette dernière, aussi bien en termes de résolution spatiale (0,1mm x 0,1mm) et de résolution temporelle (dans le domaine de la milliseconde) que de sensibilité. fUltrasound a notamment permis de mettre en évidence des réseaux de connexions cérébrales jamais observés jusqu’à présent.

Le potentiel : révolutionner la recherche préclinique en neurologie

Par contraste avec l’instrumentation lourde de l’IRM, la légèreté des sondes ultrasonores permet d’envisager la possibilité de réaliser l’imagerie fonctionnelle du cerveau de rats éveillés et libres de leurs mouvements, afin d’éviter les biais introduits par l’anesthésie. Cela ouvrirait la voie à l’utilisation en routine de cette technique d’imagerie sensible, rapide et peu coûteuse dans les laboratoires de recherche préclinique, afin de suivre l’altération des connexions cérébrales et l’efficacité de traitements thérapeutiques à l’essai dans les modèles animaux des maladies neurologiques, comme la maladie d’Alzheimer ou encore la schizophrénie.

Les travaux de Mickaël Tanter, Zsolt Lenkei et de leurs équipes ont ainsi le potentiel d’accélérer radicalement la mise au point de thérapies efficaces contre les pathologies neurologiques et psychiatriques.


Contact

Mickaël Tanter
Directeur de recherche INSERM
Institut Langevin
ESPCI ParisTech
01 80 96 30 68
mickael.tanter@espci.fr
http://fultrasound.eu

Zsolt Lenkei, MD, PhD
Equipe Dynamique et structure neuronale
Unité plasticité du cerveau
CNRS UMR 8249
ESPCI ParisTech
01 40 79 51 84
zsolt.lenkei@espci.fr

Référence

Functional ultrasound imaging of intrinsic connectivity in the living rat brain with high spatiotemporal resolution (open access)
Bruno-Félix Osmanski, Sophie Pezet, Ana Ricobaraza, Zsolt Lenkei & Mickael Tanter
Nature Communications 2014, 5, article number : 5023
DOI : 10.1038/ncomms6023

Pour aller plus loin

 Mickaël Tanter, lauréat 2014 du prix OPCEST-INSERM
 Mickaël Tanter, lauréat d’une ERC Advanced Grant pour le projet Fusimagine.
 Pister la représentation des odeurs dans le cerveau grâce à l’imagerie par ultrasons
 Médecine exponentielle et révolution ultrasonore, conférence de Mickaël Tanter pour les 50 ans de l’INSERM.
 Effet du cannabis sur le cerveau : une avancée majeure (travaux de Zsolt Lenkei et al.).
 Sophie Pezet, Maître de conférence ESPCI au laboratoire de Plasticité du cerveau, est lauréate du prix de la Fondation Unité-Guerra-Paul-Beaudoin-Lambrecht-Maïano de l’Institut de France, pour ses recherches dans le domaine de la lutte contre la douleur.





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