Une nouvelle manière de contrôler l’état magnétique d’une molécule sur une surface

Résultat scientifique

Dans une expérience de microscopie à effet tunnel, les interactions d’une molécule unique avec une surface conductrice d’or ont été suivies très précisément, mettant en évidence des transitions du spin de la molécule qui pourraient être utilisées pour des applications en électronique quantique.

L'étude et la manipulation de l'état de spin de molécules déposées sur des surfaces est un défi qui pourrait bénéficier grandement à la spintronique, la nanoélectronique et l'électronique quantique dans un avenir proche. L'un des objectifs actuels est de contrôler un nano-objet magnétique soit dans le régime classique, où la molécule se comporte comme un simple moment magnétique local, soit dans le régime quantique, où elle se couple aux modes électroniques de la surface.

Une équipe de physiciens du Laboratoire de Physique et d'Etude des Matériaux (LPEM, CNRS / ESPCI Paris - PSL / Sorbonne Université) et de l'Institut des Matériaux, de Microélectronique et des Nanosciences de Provence (IM2NP, Aix-Marseille Université / CNRS) a montré récemment comment l’état magnétique d’une molécule sur une surface est impactée par les fluctuations de charge de surface en combinant des calculs de théorie de la fonctionnelle de la densité et des mesures de microscopie à effet tunnel. Pour cela des molécules organiques magnétiques dérivées de porphyrine présentant un ion de fer ont été déposées sur une surface inhomogène d’or (voir figure). Ces molécules réagissent entre elles pour former des chaines, ici un trimère. Lorsqu’une des molécules de la chaîne est positionnée au-dessus d’un site particulier de la surface, elle présente un régime quantique non magnétique (dit « Kondo » par référence au physicien japonais qui donna dans les années 1960 une description théorique des interactions des impuretés magnétiques avec un conducteur) alors que, partout ailleurs, la molécule est magnétique et se comporte comme un nanoaimant. En utilisant la pointe du microscope pour déplacer les molécules, il a été possible de suivre plusieurs étapes de la transition entre l’état magnétique et l’effet Kondo à travers des états intermédiaires. L’origine de cette transition vient de l’exaltation des fluctuations de charge dans la molécule due à l’accroissement de l’hybridation des orbitales moléculaires avec les électrons de conduction de l’or à l’approche du site spécifique, qui s’accompagne d’une baisse de l’anisotropie magnétique dans la molécule. Il a été trouvé qu’une hybridation forte et une anisotropie magnétique faible sont propices à l’établissement de l’effet Kondo dans la molécule tout en conservant son état de spin (égal à 1).

Ces résultats, observés pour la première fois dans des systèmes moléculaires, pourraient être utiles pour contrôler les états de spin dans les dispositifs de spintronique à l’interface d’hybrides molécules/substrat. Ils sont publiés dans la revue ACS Nano.

Illustration Pons
Figure : (a) Schéma de la molécule déposée sur la surface d’or. (b) Topographie STM :  les molécules s‘associent en triplet pour former une chaîne. La molécule tout à gauche de la chaîne a été délibérément placée par manipulation avec la pointe du microscope au-dessus d’une zone particulière de la surface d’or occupée par un atome de Brome, les deux autres molécules reposant sur l’or. (c & d) Cartes montrant la localisation des excitations de retournement du spin=1 à 3 meV et 10 meV respectivement (à la température T=1,3 K). L’anisotropie magnétique dans la molécule la plus à gauche est plus faible que celle dans les deux autres molécules puisque les excitations de spin apparaissent à plus basse énergie.  La présence d’un atome de Brome sous la molécule facilite donc le retournement de spin. Taille des images 7x7 nm2.

 

Références

Manipulation of the Magnetic State of a Porphyrin-Based Molecule on Gold: From Kondo to Quantum Nanomagnet via the Charge Fluctuation Regime, Yingzheng Gao, Sergio Vlaic, Tommaso Gorni, Luca de’ Medici, Sylvain Clair, Dimitri Roditchev et Stéphane Pons, ACS Nano, paru le 10 mai 2023.
Doi : 10.1021/acsnano.2c12223
Archive ouverte : arXiv

Contact

Stéphane Pons
Chargé de recherche CNRS, Laboratoire de Physique et d'Etude des Matériaux (LPEM)
Communication CNRS Physique