Histoire : L’ESPCI Paris et la découverte des éléments chimiques

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14/10/2019

Alors que 2019 célèbre le 150e anniversaire du tableau périodique des éléments chimiques proposé par Dmitri Mendeleev, l’occasion était trop belle pour revenir sur l’histoire de 4 d’entre eux. Quel est le point commun entre le radium, le polonium, l’actinium et le lutétium ? Ils ont tous été découverts par des scientifiques de l’école, ou d’anciens élèves. Retour sur une période d’effervescence mais aussi de controverse et de course à la découverte.

En 1869, Dmitri Mendeleev publie sa fameuse classification périodique, sur laquelle s’appuie encore aujourd’hui l’apprentissage des éléments chimiques. Pourtant, à l’époque le nombre d’éléments connus est plus faible, et dans sa classification le savant prévoit l’existence d’éléments dont la masse peut être connue. Ses travaux s’inscrivent en fait dans plus de deux siècles de tentatives de la part de la communauté scientifique pour comprendre et identifier les différents éléments et leur organisation. Dans les 50 années qui suivent, les 25 derniers éléments naturels sont ainsi identifiés. Parmi eux, 4 éléments dont la découverte est intimement liée à l’histoire de l’ESPCI : le radium et le polonium par Pierre et Marie Curie (assistés de Gustave Bémont), l’actinium par André-Louis Debierne, et enfin le lutétium, par Georges Urbain.

La découverte du radium et du polonium

Marie Curie, Pierre Curie et Gustave Bémont devant la mesure de radioactivité, à l'ESPCI vers 1898.

En 1897, Marie Curie se lance dans une thèse sur l’étude des rayons uraniques fraîchement découverts par Henri Becquerel. A l’aide d’appareils de mesure à quartz piézo-électrique conçus par Pierre Curie, elle parvient à mesurer de manière précise le rayonnement émis par certains matériaux, notamment l’uranium puis le thorium dont elle parvient à mesurer l’activité qui dépend de l’élément, mais aussi de la quantité présente. Elle s’intéresse également à une multitude d’autres éléments, qui se révèlent inactifs.
Certaines mesures effectuées sur des minerais comme la pechblende présentent un rayonnement supérieur à celui de l’uranium (et du thorium). Marie Curie en déduit alors que le minerai étant non pur, un autre élément se cache dans les impuretés.
Aidée de Pierre, elle fait venir de la pechblende des mines d’uranium de Bohème, et ils vont ensemble tenter d’en extraire les éléments intéressants dans un atelier mis à disposition par l’Ecole Municipale de Physique et de Chimie Industrielles (qui deviendra l’ESPCI Paris aujourd’hui !), dans laquelle enseigne Pierre Curie. Après plusieurs mois de purifications et séparations, les Curie parviennent à isoler une substance dont l’activité est 400 fois supérieure à celle de l’uranium. Les savants lui donnent le nom de polonium en hommage aux origines de Marie Skłodowska-Curie, et voient leurs travaux présentés à l’Académie des Sciences en Juillet 1898 par Henri Becquerel.
Au cours de leurs recherches sur le polonium, les deux savants identifient également une seconde substance, qui sera bien mieux caractérisée : le radium. En effet, s’il faudra attendre plusieurs années avant que la masse atomique du polonium soit mesurée, celle du radium le sera grâce à des mesures de pureté effectuées par Eugène Demarçay alors spécialiste en spectrographie. Plusieurs chimistes les assisteront pour purifier le minerai et en extraire des solutions de chlorure de baryum radifère. C’est le cas notamment de Gustave Bémont, chef de travaux en chimie à l’E(S)PCI (qui signe également les notes présentées à l’Académie des Sciences présentées par H. Becquerel), et d’André Debierne, ingénieur PCéen de la 9e promotion alors au laboratoire de Chimie Physique de la Sorbonne.

Dans la foulée, la découverte de l’actinium

© Musée Curie (Coll. ACJC)
André Louis Debierne vers 1904.
Sur les conseils de Marie et Pierre Curie, André Debierne commence à chercher si d’autres matières radioactives sont présentes dans les échantillons de minerai, et en particulier des corps « dont les solutions acides ne précipitent pas par l’hydrogène sulfuré, et précipitent complètement par l’ammoniaque ou le sulfhydrate d’ammoniaque ». Debierne obtient principalement de l’oxyde de fer et d’alumine, mais aussi d’autres métaux et terres rares en plus petites quantités. Il en isole alors une partie radioactive, pourtant en l’absence de polonium et de radium, avec une activité grossièrement 100 000 fois supérieure à celle du radium, avec une particularité : elle n’est pas spontanément lumineuse.

Il fait état de ses découvertes une première fois à l’Académie des Sciences en octobre 1899, puis en avril 1900. C’est dans cette dernière qu’il propose le nom d’actinium, voisin du thorium.

Georges Urbain et les terres rares


Georges Urbain.
Sorti major de la 9e promotion de l’E(S)PCI, Georges Urbain soutient sa thèse en 1899 sur ses « Recherches sur la séparation des terres rares ». Il étudiera en particulier les terres yttriques (par opposition aux terres cériques, un autre sous groupe de la famille des terres rares) sans relâche de 1895 jusqu’au début de la Première Guerre Mondiale. A cette époque, seul le gadolinium figure dans la table internationale des poids atomiques, qui assure une existence aux éléments chimiques.
Georges Urbain consacre une grande partie de ses travaux à tenter d’obtenir des éléments purs à partir de l’ytterbium découvert par Jean Charles Galissard de Marignac.
Il parvient ainsi à montrer que deux substances composaient l’ytterbium. Il se lance alors dans une analyse des spectres de ces différents matériaux, afin de les caractériser complètement et de montrer qu’il s’agit d’éléments uniques. En 1907, Albin Haller présente ses notes à l’Académie des Sciences où il propose le nom de lutécium pour ce nouvel élément issu du dédoublement de l’ytterbium, célébrant ainsi la ville de Paris.
Une polémique éclate alors sur la paternité de cette découverte avec Carl Auer Von Welsbach qui pense avoir découvert cette substance plus tôt, et propose le nom de cassiopeium. Finalement, le Conseil International des poids atomiques donne raison à Urbain, mais imposera l’écriture lutétium.

En 1911, G. Urbain isole un nouvel élément dans ses échantillons et le baptise celtium, mais ses travaux sont interrompus par la guerre. Il les poursuit après la fin du conflit et annonce à nouveau sa découverte en 1922. Il caractérise le celtium grâce à l’étude complète de son spectre d’émission mais il se trompe en l’attribuant à la colonne des terres rares. George de Hevesy et Dirk Coster, collaborateurs de Niels Bohr le caractérisent également, en l’approchant plutôt du zirconium et baptisent l’élément hafnium (en hommage à l’ancien nom de Copenhague). S’ensuit une polémique qui durera plusieurs décennies, pendant lesquelles les deux noms seront utilisés en parallèle jusqu’à ce que finalement le nom hafnium finisse par s’imposer.

Diplôme de G. Urbain, à l'ESPCI. Don de la famille au CRH de l'école. © G. Durey

Références :

Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 4 Novembre 1907
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3099v/f759.item

Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 26 Décembre 1898
https://www.academie-sciences.fr/pdf/dossiers/Curie/Curie_pdf/CR1898_p175_178.pdf

Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 16 Octobre 1899
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3085b/f593.item

Comptes rendus de l’Académie des Sciences, avril 1900 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3086n/f906.image

Notice sur la vie et les travaux de Georges Urbain, lecture faite par Robert Courrier à l’Académie des Sciences le 11 décembre 1972.
https://www.academie-sciences.fr/pdf/eloges/urbain_notice.pdf

Rapports présentés au congrès international de physique réuni à Paris en 1900 sous les auspices de la Société française de physique.
Tome III, Electro-optique et ionisation, applications, physique cosmique, physique biologique / rassemblés et publiés par Ch.-Éd. Guillaume et L. Poincaré,...

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9813472t/f102.item.r=actinium

Pour en savoir plsus ur Georges Urbain, voir la notice biographique réalisée par ESPCI Alumni : https://drive.google.com/file/d/0B_PVTM3Gqf1-VkZsRXMxSU9XaDQ/view





ÉCOLE SUPÉRIEURE DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE INDUSTRIELLES DE LA VILLE DE PARIS
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