Un matériau antibuée à l’efficacité redoutable

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02/03/2017

Comment créer un matériau superhydrophobe et antibuée ? Pourquoi pas en s’inspirant de la nature… Des chercheurs du laboratoire PMMH à l’ESPCI Paris se sont inspirés de la structure des yeux d’un moustique et des ailes d’une cigale pour tester plusieurs matériaux texturés à des échelles 100 fois plus petites que celles traditionnellement utilisées. Ils ont ainsi montré qu’un matériau à base de nanocônes avait une efficacité antibuée de 99% pour la plupart des tailles de gouttes.
Ces travaux, qui font l’objet de la thèse de Timothée Mouterde, une thèse cofinancée par Thalès et la DGA et dirigée par Christophe Clanet et David Quéré, sont publiés dans la revue Nature Materials le 27 Février.

Les yeux de certains moustiques sont constitués d’une multitude de « petits plots » qui ne sont pas sans rappeler les structures artificielles utilisées aujourd’hui pour texturer des surfaces superhydrophobes. Mais chez l’insecte, la texturation se fait à une échelle 10 à 100 fois inférieure ! Or il était jusqu’alors admis que la taille des structures n’influe pas sur leur caractère superhydrophobe.

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Figure 1 : différents échantillons de nanopilliers, avec une variation du « pas » de la structure en surface.

Gaëlle Lehoucq, scientifique chez Thalès, et Antonio Checco, à Brookhaven, co-auteurs de l’étude, sont parvenus à produire des surfaces texturées en forme de plots, à différentes tailles submicrométriques (cf figure 1), ce qui permet de comparer le pouvoir de ces différentes surfaces. Lorsque la température des gouttes et de la surface est identique, toutes les surfaces texturées présentent un même caractère hydrophobe !
En revanche, si la température de la goutte est supérieure (cas de la condensation ou de la buée), l’influence de la texture se fait sentir (cf vidéo 1). La goutte reste collée sur les surfaces dont la texturation est plus « grossière » tandis que le caractère hydrophobe demeure pour la surface la plus fine. Les chercheurs sont parvenus à expliquer ce phénomène : la force d’adhésion résultant de la condensation des gouttes sur la surface texturée (dans les creux de la structure) dépend du pas de la structure. Une autre expérience avec un jet d’eau chaude confirme que le caractère superhydrophobe est conservé pour une texture texturée à très petite échelle (100nm).

Les chercheurs sont allés plus loin en s’intéressant à la forme de la dite structure. L’aspect cylindrique est-il optimal ? En s’inspirant des observations faites sur l’aile d’une cigale par Wisdom et al. en 2013, l’équipe a identifié une structure à base non plus de cylindres mais de cônes (voir figure 2). Les deux types de structures ont alors été comparées : la force d’adhésion reste très faible, voire non-mesurable, sur la surface faite de nanocônes, et ce même lorsque la température de l’eau augmente, contrairement à la surface faite de nanopiliers pour laquelle l’adhésion augmente régulièrement.

Figure 2 : haut. structure en nanocones avec un pas de 52nm observés en microscopie électronique. bas. Nanotextures présentes sur l’aile de la cigale (psaltoda claripennis) observées au microscope à force atomique.

Qu’en est-il du pouvoir antibuée de ces structures ?

Pour le déterminer, l’équipe a placé les échantillons sur un module Peltier, de manière à refroidir de manière contrôlée ces surfaces : apparaît alors une de buée, issue de l’eau contenue dans l’atmosphère, plus chaude. Le principal résultat, visible sur la vidéo ci-dessous, montre ce qui se passe lorsque des gouttes de buée coalescent avec leur voisine, alors que l’eau se condense. Dans le cas des nanopiliers, les microgouttes fusionnent petit à petit jusqu’à envahir complètement la surface. En revanche, pour les nanocônes, la vidéo montre sur plus de 6000 coalescences que la fusion engendre, avec une probabilité extraordinairement élevée (supérieure à 90%), l’éjection du liquide – et ce, pour des gouttes pouvant être aussi petites qu’1,5 micromètres.

Les chercheurs sont donc parvenus à optimiser le pouvoir antibuée d’un matériau, en jouant à la fois sur la taille caractéristique de sa texturation et sur sa forme. Ces observations qui exploitent le biomimétisme sont une première étape : reste désormais à tester des formes intermédiaires, pouvant par exemple mélanger différents types de structures, et à jouer sur la densité des cônes sur la surface texturée. Ces questions répondent également à un réel besoin : les surfaces superhydrophobes actuelles repoussent les gouttes suffisamment grosses (de l’ordre du millimètre) mais elles se révélaient inefficaces face à la condensation et la buée.

Référence :

Antifogging abilities of model nanotextures

Timothée Mouterde, Gaëlle Lehoucq, Stéphane Xavier, Antonio Checco, Charles T. Black, Atikur Rahman, Thierry Midavaine, Christophe Clanet and David Quéré

PUBLISHED ONLINE : 27 FEBRUARY 2017 | DOI : 10.1038/NMAT4868





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